Il faut des historiens pour rendre compte des événements ; des témoins imparfaits, qui déclinent l’expérience singulière ; des romanciers, pour inventer ce qui a disparu à jamais : l’instant présent.
Valentine Goby s’approprie et actualise au travers de l’expérience du personnage de Suzanne-Mila, la vie du camp de Ravensbruck.
Mila a 20 ans, elle est enceinte. Elle ignore tout. Ce qu’est le déroulement d’une grossesse, les conséquences que cela aura pour sa survie, le fonctionnement du camp.
Au plus près des corps, l’écriture de Valentine Goby, palpitante, nous permet de partager le quotidien de ces femmes.
Aujourd’hui alors que le souvenir a tendance à se transformer en un devoir de mémoire momifié devant le trou noir de l’indicible, elle leur rend la vie : leur énergie et leur solidarité prennent tout leur sens.
Le sujet est difficile mais on en sort grandi.
J'ai eu une Suzanne aussi, déportée le 28 avril 1943 - triangle rouge n° 19 323 - Elle parlait peu du camp et quand elle en parlait, elle parlait de la vie et de la solidarité. Je l'ai retrouvée dans le personnage de Térésa :
- Tu n'y es pas ! Être vivant, elle dit, c'est se lever, se nourrir, se laver, c'est faire les gestes qui préservent, et puis pleurer l'absence, la coudre à sa propre existence. Me parle pas de boulangerie, de robe, de baisers, de musique ! Vivre c'est ne pas devancer la mort, à Ravensbrück comme ailleurs. Ne pas mourir avant la mort, se tenir debout dans l'intervalle mince entre le jour et la nuit, et personne ne sait quand elle viendra. Le travail d'humain est le même partout, à Paris, à Cracovie, à Tombouctou, depuis la nuit des temps, et jusqu'à Ravensbrück. Il n'y a pas de différence.
Elle m'emmenait à Paris, au Noël de Ravensbrück, et j'ai vu l'un des enfants qui a survécu, je ne sais pas s'il s'agissait de Guy ou de Jean-Claude mais j'ai gardé son image en tête : un beau jeune homme (j'avais une dizaine d'années- il devait en avoir 17) en costume bleu et toutes les femmes, anciennes déportées, le considéraient un peu comme leur fils.
J'y suis allée en 1998, seule. Longtemps après le décès de Suzanne. Je n'ai rien vu à Ravensbrück. Je n'ai rien ressenti.
Je remercie Valentine Goby pour ce livre qui m'a permis quelque part de rejoindre ma mère ou au moins d'en avoir l'impression.
1 commentaire:
Ça donne envie de le lire, merci.
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