jeudi 13 février 2014

Cinéma : Au bord du monde

 Claus Drexel nous propose bien plus qu'un documentaire, une construction poétique qui comme telle modifie notre regard, notre perception du monde.
Rencontre poétique en effet avec quelques habitants des rues filmés la nuit au cœur du Paris touristique illuminé et vide. Le contraste et la solitude qui s’en dégage sont sidérants.


Jeni

Sans surprise, on découvre des êtres humains à notre image,  et plus encore ils semblent être les gardiens d’une part de nous-même, de notre dernière part d’humanité.
On ne veut pas les voir et gentiment ils se cachent. Pascal (sur l'affiche) s’est construit une cabane dans un recoin sur les quais en espérant ne pas être chassé.


Wenceslas range bien sagement sa tante à 5 heures du matin avant l’arrivée des gens de bureau.

  Christine semble rester toujours assise près du jardin des plantes.

 Henri qui ne parle pas et qu’on aimerait imaginer plutôt sannyasin dans la vie débordante de l’Inde, occupe une sorte de grotte dans un tunnel du périphérique.
Sans explication ni rationalisation ni pathétique (ce qui est abominable est très rapidement suggéré par quelques plans) et au delà de la pitié, de l’indignation, de la peur ou même de la solution d’un hébergement pour les nuits froides, nous entrons dans la tragédie.
“Ce qui ne tient plus de la crise mais de la catastrophe, c’est quand un système s’est outrepassé lui-même, qu’il a dépassé ses propres fins et qu’il ne peut donc plus lui être trouvé aucun remède”
Baudrillard La transparence du mal - Essai sur les phénomènes extrêmes

Le film se termine avec le nessum dorma de Puccini et c’est déchirant.

http://www.dailymotion.com/video/xs4f0_puccini-turandot-nessum-dorma_music

Que nul ne dorme...Que nul ne dorme !
Et toi aussi, ô princesse,
dans ta chambre glaciale,
tu regardes les étoiles qui tremblent
d'amour et d’espoir !

Mais mon mystère est enfermé en moi,
mon nom, nul ne saura !
Non,non! Sur ta bouche, je le dirai
quand la lumière resplendira !
Et mon baiser brisera
le silence qui te fait mienne !

Nul ne saura son nom !
Et nous, hélas, devrons mourir ! Mourir !

Dissipe-toi, ô nuit ! Ô étoiles, couchez-vous!
Ô étoiles, couchez-vous ! A l'aube, je vaincrai!
Je vaincrai ! Je vaincrai !

Le film est programmé au TNB encore cette semaine.

Pastilles : souvenirs intimes de Kyoto


La parenthèse enchantée.

samedi 2 novembre 2013

Les portes : variation 6


Les portes imaginaires : Dans Dodes'kaden (Do desu ka den) (どですかでん) le premier film en couleurs d' Akira Kurosawa (1970), un sdf passe son temps à construire la maison de ses rêves :










Lecture : Sorj Chalandon et Jean-Philippe Toussaint

Sorj Chalandon n'écrit pas pour passer le temps.

Le quatrième mur est un roman puissant et tragique. L’auteur s’appuie sur ses souvenirs terribles de grand reporter de guerre. Georges, militant de gauche a été chargé par Sam, juif grec atteint d'un cancer,  de monter Antigone au Liban avec des acteurs de toutes obédiences. Georges part donc pour Beyrouth en 1982.
Il va découvrir la guerre :
 Le Druze s’est relevé.
-Ne mens pas tu soutiens qui ?
Je l’ai regardé sans comprendre.
-Oublie que je suis druze. Tu comprends qui dans cette guerre ?
J’ai bredouillé. Je ne savais pas. J’étais ici pour la paix, pas pour la guerre. J’ai parlé d’Antigone. [...]
- Réponds, Georges. C’est important. Les phalangistes ? Les chrétiens ?
J’ai secoué la tête. Pas eux, non. En 1975, des rats noirs étaient partis d’Assas les rejoindre, pour combattre la gauche libanaise et les Palestiniens.
-Les palestiniens, j’ai dit.
Marwan a haussé les épaules. Il a sorti la carte Fatah de mon jeu.
- Arafat ? Alors tu le mets sur ton coeur. Comme ça tu te souviendras.
Il a glissé le carton dans la poche gauche de ma chemise.
Il m’a montré la carte druze.
- Tu me payes ? Alors mets Jomblatt côté portefeuille.
Je retrouvais ses sourires du début.
- L’armée libanaise ? Dans ton passeport. C’est un document officiel. Tu peux le sortir partout, personne ne te le reprochera.
Restaient les chiites d’Amal et les milices chrétiennes
-Eux, tu t’assieds dessus, d‘accord ?
Une rafale au loin. Deux autres rapprochées. Je me suis figé. Pas lui.
- Pour toi, les chrétiens libanais sont des fascistes ? Fesse d’extrême droite.
- Amal fesse gauche ?
Marwan m’a tendu le dernier laissez-passer en riant.
- Yallah ! Tu fais attendre ton Antigone.


 et de retour à Paris ne supportera plus la paix :

 C’était ça son drame ? Une boule au chocolat tombée d’un cornet de biscuit ? Les misères de la paix me dégoûtaient. Un homme s’était avancé. Il m’a demandé de me calmer. Je me suis levé comme un fauve. Il a reculé sans un mot. C’était ça votre problème ? Les boules de glace ? Les genoux écorchés ? Les cheveux emmêlés après le bain . C’était ça vos vies ? Ce dimanche qui puait le lundi ?Ces familles en troupeaux ? Ces rires pour la photo ? Ce pauvre bonheur ?

La nécessité d’écrire, d' exprimer toutes ces souffrances vues,  ressenties et tues longtemps, vibre tout au long du livre.
L’écriture est belle, intense et souvent poétique.
Dur mais essentiel.





Après ce livre coup de poing, on a l'impression de tomber sur un nuage douillet en lisant  Nue de Jean-Philippe Toussaint.
C'est un livre élégant, un régal pour les amateurs de belle écriture avec des phrases longues, pleines d'adjectifs.

 Marie était là, je l’avais sous les yeux maintenant, je l’apercevais dans la foule, et il émanait d’elle quelque chose de lumineux, une grâce, une élégance, une évidence. Elle portait un chemisier blanc à col lavallière, et elle ne disait rien, mais sans rien dire, sans rien faire, sans bouger, sans un mot, sans un battement de cil, elle saturait l’espace de sa présence immobile, pas précisément froide, mais distante, lointaine, non concernée, comme égarée dans cette exposition qui ne semblait pas être la sienne, et qui paraissait supporter, avec quelque chose de résigné et de foncièrement mélancolique, les frivolités de ces soirées de vernissage, la superficialité des conversations, toute cette écume frissonnante qui ne l’éclaboussait même pas, qui ne l’atteignait pas, comme si sa peau était blindée, son enveloppe cuirassée, et que son âme était simplement étrangère à la médiocrité, étanche à toute forme de vulgarité.
  
L'ambiance est impressionniste : le narrateur nous fait partager quelques scènes, ouvre quelques pistes vite abandonnées. On y parle d'art, d'amour et de l'île d'Elbe (qui ressemble à la Corse)



Il évoque Bill Viola (artiste américain né en 1951) qui l'a peut-être inspiré pour son mannequin en robe de miel et suivi par un essaim d'abeilles












 
et Botticelli dont il aime une des Annonciations qu'il rapproche de son personnage
Du velours. Rien n'accroche ni ne dérange.
Nue fait partie de la dernière sélection du Goncourt.

mardi 22 octobre 2013

Les portes : variation 5





 Il y a les portes qui se referment sur nous et qu'il n'est plus possible d'ouvrir :



C'est le jeu du chat

et de la souris

A partir d'une histoire vraie, une tentative d'évasion pleine d'un suspens palpitant...


Le trou - Film franco-italien de Jacques Becker - 1960


Mc Murphy a cru que l'asile était préférable à la prison, mais pour échapper à la mère Ratched


 Il faut être fort comme une montagne et passer par la fenêtre

Vol au dessus d'un nid de coucou - Milos Forman - 1975

Cinéma : Amour spaghetti - la vie d'Adèle






Les spaghetti sont importants dans la vie d'Adèle. C'est par eux qu'elle nous apparaît d'emblée  comme une personne pleine d'énergie et  qui a bon appétit.
"En tout cas, les spaghetti sont délicieux" dit Emma au père d'Adèle qui vient d'émettre des considérations terre à terre sur la nécessité de trouver des débouchés aux études en la félicitant naïvement de l'aide qu'elle apporte à Adèle pour ses cours de philo.
Les parents d' Emma trinquent à l' amour de leur fille, mangent des crustacés et méprisent un peu le projet d'Adèle d'être instit :" au moins vous savez où vous allez".
En tout cas et au moins appartiennent  au pays de la Condescendance qu'Emma aura toujours envers Adèle, plus jeune, et dévouée comme les gens de peu. En effet, pour recevoir les amis artistes, Adèle cuisine les spaghetti qui marque sa filiation, s'affaire, veille à ce que chacun soit servi puis fait la vaisselle. Les autres échangent des considérations profondes sur les peintres (il faut au moins être en quatrième année aux beaux arts) : Klimt est trop fleuri, Egon Schiele est torturé.
Adèle est prisonnière de son désir pour Emma comme le spectateur est prisonnier du visage d'Adèle filmée en gros plan la plupart du temps. Cela marche bien dans la première partie de la rencontre amoureuse et de la plénitude. Jusqu'à la grande scène de sexe :
"Nous avons donc tourné ces scènes comme des tableaux, des sculptures. On a passé beaucoup de temps à les éclairer pour qu’elles soient vraiment belles, après, la chorégraphie de la gestuelle amoureuse se fait toute seule, avec le naturel de la vie"
Je n'ai pas trouvé la scène choquante mais vraiment longue et pour tout dire assez ennuyeuse. Elle ne m'a justement pas paru naturelle, la volonté esthétique est perceptible peut-être un peu trop.  7 minutes c'est vraiment long et assez répétitif quand même. D'ailleurs Emma la note 14, Adèle a encore beaucoup à apprendre.
Quel est l'intérêt ? Peut-être placer cet amour sexuel qu'Adèle éprouve pour Emma au centre le leur relation.
Adèle pour moi ne change pas. Elle vit avec Emma dont elle est follement amoureuse, elle accepte d'être son modèle mais elle ne semble pas comprendre son univers d'artiste: "Ce n'est pas grave, il y a toujours des tensions. Moi aussi j'ai parfois des tensions avec mes collègues" répond-elle de façon désinvolte et triviale  à Emma qui se pose des questions métaphysiques sur l'art.
A tel point que j'ai eu l'impression qu'Emma sautait sur l'occasion de la petite tromperie d'Adèle pour la "dégager" comme si elle attendait de pouvoir entamer une autre histoire d'amour.
Le passage du temps est suggéré, en fait il ne semble pas passer pour Adèle dont l'appétit amoureux reste aussi fort qu'en ses débuts. Après une séparation de 3 ans, Adèle, lors d'une scène de retrouvailles ne semble  penser qu'au sexe.
 "Ce qui m’intéressait c’était de développer un personnage de femme qui voulait transmettre, et qui accomplissait son travail avec passion", raconte Abdellatif Kechiche.
Le problème est que les scènes où l'on voit Adèle exercer son métier succède (dans mon souvenir) à des moments où elle est en manque d'Emma. On la voit avec les enfants mais honnêtement je ne l'ai pas du tout senti passionnée.
 Les problèmes liés à  l'homosexualité sont évoqués assez discrètement et subtilement( la scène -très violente dans la BD- de la colère des parents de Clémentine qui s'appelle Adèle dans le film, a été supprimée). Adèle aurait pu aimer un garçon, il ne s'agit pas d'une attirance sexuelle exclusive mais d'un amour singulier pour une personne.
Par contre, Adèle semble par son choix, peu ambitieux pour Emma, de transmettre aux jeunes enfants, (dans la BD Clémentine est prof dans le secondaire )-  incapable d'accéder à ce milieu artistique qui apparaît pourtant assez vain et limité.
C'est cette dimension sociologique qui me paraît appauvrir Adèle et son histoire d'amour et rendre Emma au final assez peu désirable.
Inutile sans doute d'ajouter qu'il s'agit d'un bon film, que les trois heures passent vite et qu'il fait réfléchir.

Le premier personnage de lesbienne au cinéma est mis en scène par Pabst dans Loulou (interprétée par Louise Brooks) - 1929 - Film allemand, muet.


Loulou se marie avec le père d'Alwa qui est amoureux d'elle et est donc bien malheureux,
 Anna Geschwitz (Alice Roberts) est aussi amoureuse de Loulou,
                                         




Le mari de Loulou, Peter Shön, interrompt la danse - Loulou semble les aimer tous...c'est une femme fatale
 

Anna refuse de danser avec un homme






vendredi 11 octobre 2013

Les portes : Variation 4



      Brad Pitt dans le film des frères Cohen Burn after Reading a fort à faire avec les portes ; l'intelligence est relative !


Sans paroles :