samedi 2 novembre 2013

Les portes : variation 6


Les portes imaginaires : Dans Dodes'kaden (Do desu ka den) (どですかでん) le premier film en couleurs d' Akira Kurosawa (1970), un sdf passe son temps à construire la maison de ses rêves :










Lecture : Sorj Chalandon et Jean-Philippe Toussaint

Sorj Chalandon n'écrit pas pour passer le temps.

Le quatrième mur est un roman puissant et tragique. L’auteur s’appuie sur ses souvenirs terribles de grand reporter de guerre. Georges, militant de gauche a été chargé par Sam, juif grec atteint d'un cancer,  de monter Antigone au Liban avec des acteurs de toutes obédiences. Georges part donc pour Beyrouth en 1982.
Il va découvrir la guerre :
 Le Druze s’est relevé.
-Ne mens pas tu soutiens qui ?
Je l’ai regardé sans comprendre.
-Oublie que je suis druze. Tu comprends qui dans cette guerre ?
J’ai bredouillé. Je ne savais pas. J’étais ici pour la paix, pas pour la guerre. J’ai parlé d’Antigone. [...]
- Réponds, Georges. C’est important. Les phalangistes ? Les chrétiens ?
J’ai secoué la tête. Pas eux, non. En 1975, des rats noirs étaient partis d’Assas les rejoindre, pour combattre la gauche libanaise et les Palestiniens.
-Les palestiniens, j’ai dit.
Marwan a haussé les épaules. Il a sorti la carte Fatah de mon jeu.
- Arafat ? Alors tu le mets sur ton coeur. Comme ça tu te souviendras.
Il a glissé le carton dans la poche gauche de ma chemise.
Il m’a montré la carte druze.
- Tu me payes ? Alors mets Jomblatt côté portefeuille.
Je retrouvais ses sourires du début.
- L’armée libanaise ? Dans ton passeport. C’est un document officiel. Tu peux le sortir partout, personne ne te le reprochera.
Restaient les chiites d’Amal et les milices chrétiennes
-Eux, tu t’assieds dessus, d‘accord ?
Une rafale au loin. Deux autres rapprochées. Je me suis figé. Pas lui.
- Pour toi, les chrétiens libanais sont des fascistes ? Fesse d’extrême droite.
- Amal fesse gauche ?
Marwan m’a tendu le dernier laissez-passer en riant.
- Yallah ! Tu fais attendre ton Antigone.


 et de retour à Paris ne supportera plus la paix :

 C’était ça son drame ? Une boule au chocolat tombée d’un cornet de biscuit ? Les misères de la paix me dégoûtaient. Un homme s’était avancé. Il m’a demandé de me calmer. Je me suis levé comme un fauve. Il a reculé sans un mot. C’était ça votre problème ? Les boules de glace ? Les genoux écorchés ? Les cheveux emmêlés après le bain . C’était ça vos vies ? Ce dimanche qui puait le lundi ?Ces familles en troupeaux ? Ces rires pour la photo ? Ce pauvre bonheur ?

La nécessité d’écrire, d' exprimer toutes ces souffrances vues,  ressenties et tues longtemps, vibre tout au long du livre.
L’écriture est belle, intense et souvent poétique.
Dur mais essentiel.





Après ce livre coup de poing, on a l'impression de tomber sur un nuage douillet en lisant  Nue de Jean-Philippe Toussaint.
C'est un livre élégant, un régal pour les amateurs de belle écriture avec des phrases longues, pleines d'adjectifs.

 Marie était là, je l’avais sous les yeux maintenant, je l’apercevais dans la foule, et il émanait d’elle quelque chose de lumineux, une grâce, une élégance, une évidence. Elle portait un chemisier blanc à col lavallière, et elle ne disait rien, mais sans rien dire, sans rien faire, sans bouger, sans un mot, sans un battement de cil, elle saturait l’espace de sa présence immobile, pas précisément froide, mais distante, lointaine, non concernée, comme égarée dans cette exposition qui ne semblait pas être la sienne, et qui paraissait supporter, avec quelque chose de résigné et de foncièrement mélancolique, les frivolités de ces soirées de vernissage, la superficialité des conversations, toute cette écume frissonnante qui ne l’éclaboussait même pas, qui ne l’atteignait pas, comme si sa peau était blindée, son enveloppe cuirassée, et que son âme était simplement étrangère à la médiocrité, étanche à toute forme de vulgarité.
  
L'ambiance est impressionniste : le narrateur nous fait partager quelques scènes, ouvre quelques pistes vite abandonnées. On y parle d'art, d'amour et de l'île d'Elbe (qui ressemble à la Corse)



Il évoque Bill Viola (artiste américain né en 1951) qui l'a peut-être inspiré pour son mannequin en robe de miel et suivi par un essaim d'abeilles












 
et Botticelli dont il aime une des Annonciations qu'il rapproche de son personnage
Du velours. Rien n'accroche ni ne dérange.
Nue fait partie de la dernière sélection du Goncourt.